Ce film d’animation raconte en moins de six minutes la grande aventure des découvertes zoologiques ou plus communément ethnographiques du 19e siècle. Il décrit les expéditions menées par les scientifiques français aux quatre coins du Monde afin de comprendre et d’établir l’origine, l’évolution et la pluralité de l’Homme ; et combien elles ont contribué à enrichir les collections des musées zoologique, ethnographique puis anthropologique de Paris.
Je me suis intéressé aux récits de voyage, aux anecdotes rapportées par ces explorateurs, retraçant les étapes clés de cette quête qui permit de mieux connaître l’Homme et ses cultures, à la vie de Pierre-Marie-Alexandre Dumoutier embarqué à bord de l’Astrolabe à la conquête des îles du Sud et de l’Océanie.
J’ai illustré et détaillé les techniques de référencement et de classification des ethnies et des « races » selon les critères occidentaux d’alors.
Ainsi, ce projet étudie en particulier la collection de bustes anthropologiques du Musée de L’Homme à Paris. Il décrit les méthodes de collecte de ces moulages, les techniques de prise d’empreinte des populations autochtones. Il permet de comprendre l’engouement certain des scientifiques pour ces découvertes, la curiosité pour l’exotisme du public face à ces nouvelles curiosités que constituaient ces bustes en plâtre coloré et autres zoos humains.
© Muséum national d’histoire naturelle / Musée de l’Homme
© Camille Fiore
Bien que les premiers moulages anthropologiques soient réalisés dès 1833, il faut attendre le retour de la circumnavigation de Dumont d’Urville en 1840 pour que soit reconnue la légitimité de ce procédé pour la science de l’homme. Démarre alors la frénésie des voyages d’expéditions anthropologiques ; les scientifiques désirent partir à la rencontre des peuplades exotiques méconnues.
Les expéditions doivent souvent suivre des recommandations officielles faites par l’Académie des sciences : on y insiste sur la nécessité de « s’occuper de tout ce qui peut servir au perfectionnement de l’histoire naturelle de l’homme » (Blainville, 1837). Cette seule phrase concernant l’étude de l’homme vise de manière très large la description de « races » rencontrées, mais aucune demande de mesures chiffrées, ni de collecte de crânes ou de moulages n’est explicitement formulée.
Des instructions plus complètes, mais cette fois officieuses sont fournies par la Société phrénologique de Paris à Dumont d’Urville et Dumoutier : il y est recommandé d’observer des mœurs indigènes et de pratiquer la collecte de crânes et de moulages des têtes débarrassées de leur chevelure, cela afin de constituer, selon les propos de Dumoutier, « une phrénologie appliquée à l’étude des diverses races ».
De nombreuses missions scientifiques sont recensées au long du XIXe siècle, dont une mission Cap Horn en 1882-1883, le voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie de Dumont d’Urville en 1837-1840, le voyage dans les mers du Nord du Prince Napoléon en 1856. Froberville explore l’Afrique de l’est de Froberville en 1846, Louis Catat se rend en mission à Madagascar, le Docteur Ponty effectue un voyage en Nouvelle-Calédonie et enfin Frederik Starr organise une expédition mexicaine.
Jules Dumont d’Urville est passionné par l’étude de l’homme depuis son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829. Dumoutier le rencontre à Paris et propose sa participation à l’expédition vers l’Océanie et le pôle Sud. Il est engagé par l’amiral comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie ». L’expédition de 1836 a pour but d’explorer le détroit de Torrès et de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud. En 1838, l’expédition débarque à Tahiti : s’en suit une longue traversée de l’Océanie (îles Marquises, Samoa, îles Fidji, Vanikoro, îles Salomon, îles Carolines, îles Pelew et Mindanao, Célèbes, Moluques). En octobre 1839, l’expédition fait une longue escale en Tasmanie avant de toucher la Terre Adélie. Les navires parviennent à rentrer en Europe.
Le Prince Napoléon prépare un voyage vers l’Islande et le Groenland en 1856, et fait appel à Jean Benjamin Stahl, futur chef de l’atelier de moulage au Muséum d’histoire naturelle de Paris, pour rejoindre la commission scientifique de l’expédition. Il réalise des empreintes de pièces de musées en Écosse et Norvège, des moulages d’animaux et une collection de moulages de têtes, mains, torses et jambes des différentes populations rencontrées.
© Camille Fiore
Né à Paris en 1797, Pierre-Marie-Alexandre Dumoutier étudia la médecine, et exerça quelques temps en tant qu’aide d’anatomie, à la Faculté de Médecine, avant de devenir professeur libre d’anatomie. Vers 1820, il s’intéresse à la phrénologie, grâce aux cours donnés par Spurzheim, à Paris.
Quelques années plus tard, en 1831, il participe à la création de la Société phrénologique de Paris, dont il devient le préparateur attitré. Il transforme son logement en centre d’enseignement de la phrénologie et y accueille le siège social de la Société. En 1836, il y ouvre le Musée de la Société phrénologique de Paris, pour en exposer les collections, soit quelques 400 bustes moulés sur nature, et plusieurs centaines de crânes et moulage de cerveaux. Une année plus tard, la collection est déjà portée à 600 bustes.
Sa rencontre avec le navigateur Jules Dumont d’Urville orienta sa carrière. L’amiral et savant est passionné par l’étude de l’homme, depuis son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829. Il se convertit rapidement aux thèses de Gall. Dumoutier propose sa participation à l’expédition vers l’Océanie et le pôle Sud, puis est engagé par l’amiral comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie ».
A son retour, Dumont d’Urville lui fit obtenir une décoration en 1841. Dumoutier n’écrit, suite au voyage, qu’un seul conventionnel et très court article sur la phrénologie et l’ethnologie des Marquisiens. A la fermeture de son musée, la collection fut entreposée pendant plusieurs années, en caisses, dans le grenier du musée Dupuytren, puis rachetée en 1873, par le Muséum d’Histoire naturelle de Paris, et conservée actuellement au Musée de l’Homme.
Ses moulages d’individus, par leur réalisme, leur rareté et leur « exotisme », furent finalement aussi précieux à la raciologie et à l’anthropologie physique qui devait naître quelques années plus tard, qu’à la phrénologie classique.
© Camille Fiore
En 1889, l’attraction principale offerte aux 28 millions de visiteurs de l’Exposition universelle est le « village nègre » et ses 400 Africains, exhibés sur l’esplanade des Invalides, au milieu des pavillons coloniaux. Mais ces exhibitions n’apparaissent pas brutalement à la fin du XIXe siècle, elles arrivent à la suite d’une longue tradition et ont touché des millions de spectateurs, de Paris à Hambourg, de Londres à New York, de Moscou à Porto.
La tristement célèbre « Vénus Hottentote », une femme originaire du sud de l’Afrique, exposée comme un phénomène de foire en Angleterre, puis en France, dans les années 1810, meurt le 29 décembre 1815. Pour leur grande majorité, les personnes exhibées sont des figurants payés et qui ont des contrats. En cette époque de transition, ces mises en scène sont vendues comme les vestiges d’un monde qu’on ne reverra plus jamais.
C’est aussi l’époque où se construisent, en Europe, les identités nationales, jusque-là assez floues, et ce sur le mythe de la modernité. Toutes les différences doivent être gommées au profit de la citoyenneté. Dans les expositions françaises, il y aura aussi des villages bretons et savoyards, régions que l’on juge urgent de moderniser, tout comme l’Afrique ou n’importe quelle colonie de l’époque. Ces exhibitions servent à convaincre que la colonisation, qui connaît son apogée dans les années 1860-1880, est légitime.
Quant au rôle de la science, il se complexifie d’autant plus. Au début du phénomène, les anthropologues accourent dans les expositions, notamment au Jardin d’acclimatation, dans le but d’effectuer des mesures. Se pose aussi la question de l’influence de ces zoos humains sur la fabrique du racisme populaire, et de ses préjugés. Les spectacles anthropozoologiques sont le vecteur essentiel du passage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé.
© Camille Fiore
Technique d’artisans et d’artistes modeleurs et sculpteurs, le moulage est rapidement récupéré par les savants en quête de répliques objectives des spécimens qu’ils étudient. En s’intégrant dans un mouvement à la fois médical et naturaliste qui accorde une valeur absolue au crâne comme critère d’évaluation de l’homme, l’anthropologie physique émergente postule un possible classement des différents représentants de l’humanité fondé sur des mesures de proportions et des cubages. C’est dans cette étude de la variabilité des caractères que l’anthropologie physique a recours au moulage pour illustrer sa classification.
Le moulage est une retranscription absolue de la réalité, avec une certaine volonté de retrouver le naturel, au détriment de l’aspect vivant ; par exemple des paupières sont closes, les globes des yeux légèrement affaissés et l’expression figée, ce qui ne permet que difficilement au spectateur de déterminer des traits de caractère du sujet. Pour faire un moulage, il faut enduire un visage et la prise se faisait en quelques minutes. À partir du négatif ainsi obtenu, on crée le buste par contre-moulage.
Au moment où ils sont exploités par les anthropologues, les moulages ont une fonction similaire à la photographie, mais en trois dimensions : dans ce contexte, ils n’ont pas, a priori, de vocation esthétique, mais uniquement « documentaire ». Le but assumé est alors d’effacer la subjectivité de l’artiste au profit de la « réalité ». L’intérêt dit « scientifique » des moulages est sans doute lié à la vogue de la physiognomonie, à la phrénologie de Gall, à l’anatomie comparée, à la théorie de l’évolution de Darwin, et, par la suite, à l’anthropologie criminelle.
À l’origine, les techniques utilisées par les scientifiques sont les mêmes que celles auxquelles ont recours les artistes-mouleurs. Mais la technique et les usages des plâtres anthropologiques sont bientôt normalisés, notamment par Broca. Le mouleur doit prendre garde que le modèle reste complètement immobile, qu’il ne soit pas effrayé par l’augmentation de chaleur produite par le plâtre et qu’il conserve bien sa bouche et ses yeux fermés. Le mouleur commence par graisser la naissance des cheveux, les sourcils, avec de la pommade ou du beurre frais. On peut aussi réunir les poils, avec de la pommade de façon à former une masse compacte. Si le modèle est un homme, il doit être parfaitement et fraîchement rasé. Quand tout est prêt, avec un pinceau fin, on applique le plâtre en commençant par le front, par les joues, et l’on termine par la bouche et le nez. Cela pour le moulage d’un masque.
Le moulage de la tête entière semble alors bien plus complexe, au point qu’il est jugé dangereux à l’époque et réservé à des professionnels. La technique est décrite comme suit : on s’occupe de la pose des fils. L’un prend au milieu de la tête, monte en ligne directe sur son sommet, descend par avant en partageant le front, le nez, la bouche et le menton en deux parties égales ; le second croise ce premier en séparant la tête en deux portions égales, un devant, l’autre derrière. La tête est ensuite recouverte de plâtre en une seule fois.
Sur un individu mort, le moulage est évidemment plus aisé, la docilité certaine du cadavre permet d’inclure la tête entière dans une chape de plâtre, sans que les orifices ne soient bouchés. Les bustes réalisés post-mortem sont d’ailleurs parfois aisés à reconnaître : yeux entre-ouverts, bouche ouverte et tombante, faciès légèrement affaissé, épaules hautes dues à la position couchée du mort lors du moulage.
Un vrai souci de finition est attaché à la couleur de la peau comme critère de classification des types humains. La coloration est perçue comme une épreuve très complexe. En guise de méthode, Broca insiste dans ses instructions sur le rôle de la table chromatique qu’il a mise en place pour déterminer les différentes teintes (peau, muqueuses, cheveux…) afin que les moulages puissent être coloriés de retour des expéditions.
© Camille Fiore
Le terme « anthropologie » vient de deux mots grecs, l’un, « anthrôpos », signifie l’homme, et l’autre, « logos », signifie la parole, le discours. Au sein de chaque culture se trouve une conception de l’être humain, une anthropologie commune ; celle-ci est centrale, car fondatrice de l’identité collective. Il existe aussi une anthropologie savante qui prend deux formes : philosophique et scientifique. Si le XIXe siècle est longtemps dominé par l’anthropologie physique, autrement dit par l’étude des caractères morphologiques des individus, l’anthropologie scientifique s’oriente ensuite résolument vers l’étude des organisations socioculturelles. Aujourd’hui, l’anthropologie philosophique cherche à donner une vision synthétique de l’homme et de sa place dans le monde.
Dans son acception la plus large, le mot « anthropologie » combine l’ensemble des sciences qui étudient l’homme dans ses différentes dimensions. L’Union Internationale des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques reconnaît d’ailleurs quatre principales disciplines : l’anthropologie sociale et culturelle, l’archéologie et la paléoanthropologie, l’anthropologie biologique et la linguistique.
Une discipline des sciences humaines et sociales s’intéresse à l’homme en société, il s’agit de l’anthropologie sociale, encore appelée ethnographie. En d’autres termes, elle étudie les rapports sociaux propres à chaque groupe humain ou à chaque situation, s’intéressant dans le même mouvement à la grande variabilité des formes de vie sociale. Il existe au sein de l’anthropologie sociale des courants de pensée très différents, souvent concurrents entre eux.
Une anthropologie philosophique voit aussi le jour en Allemagne dans les années 1920 et 1930 dont la démarche est de mettre à profit les enseignements des sciences de la nature et des sciences de l’homme, pour tenter de cerner les caractéristiques de l’espèce humaine et sa position spécifique dans le monde.
J’ai illustré et détaillé les techniques de référencement et de classification des ethnies et des « races » selon les critères occidentaux d’alors.
Ainsi, ce projet étudie en particulier la collection de bustes anthropologiques du Musée de L’Homme à Paris. Il décrit les méthodes de collecte de ces moulages, les techniques de prise d’empreinte des populations autochtones. Il permet de comprendre l’engouement certain des scientifiques pour ces découvertes, la curiosité pour l’exotisme du public face à ces nouvelles curiosités que constituaient ces bustes en plâtre coloré et autres zoos humains.
© Camille Fiore
Bien que les premiers moulages anthropologiques soient réalisés dès 1833, il faut attendre le retour de la circumnavigation de Dumont d’Urville en 1840 pour que soit reconnue la légitimité de ce procédé pour la science de l’homme. Démarre alors la frénésie des voyages d’expéditions anthropologiques ; les scientifiques désirent partir à la rencontre des peuplades exotiques méconnues.
Les expéditions doivent souvent suivre des recommandations officielles faites par l’Académie des sciences : on y insiste sur la nécessité de « s’occuper de tout ce qui peut servir au perfectionnement de l’histoire naturelle de l’homme » (Blainville, 1837). Cette seule phrase concernant l’étude de l’homme vise de manière très large la description de « races » rencontrées, mais aucune demande de mesures chiffrées, ni de collecte de crânes ou de moulages n’est explicitement formulée.
Des instructions plus complètes, mais cette fois officieuses sont fournies par la Société phrénologique de Paris à Dumont d’Urville et Dumoutier : il y est recommandé d’observer des mœurs indigènes et de pratiquer la collecte de crânes et de moulages des têtes débarrassées de leur chevelure, cela afin de constituer, selon les propos de Dumoutier, « une phrénologie appliquée à l’étude des diverses races ».
De nombreuses missions scientifiques sont recensées au long du XIXe siècle, dont une mission Cap Horn en 1882-1883, le voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie de Dumont d’Urville en 1837-1840, le voyage dans les mers du Nord du Prince Napoléon en 1856. Froberville explore l’Afrique de l’est de Froberville en 1846, Louis Catat se rend en mission à Madagascar, le Docteur Ponty effectue un voyage en Nouvelle-Calédonie et enfin Frederik Starr organise une expédition mexicaine.
Jules Dumont d’Urville est passionné par l’étude de l’homme depuis son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829. Dumoutier le rencontre à Paris et propose sa participation à l’expédition vers l’Océanie et le pôle Sud. Il est engagé par l’amiral comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie ». L’expédition de 1836 a pour but d’explorer le détroit de Torrès et de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud. En 1838, l’expédition débarque à Tahiti : s’en suit une longue traversée de l’Océanie (îles Marquises, Samoa, îles Fidji, Vanikoro, îles Salomon, îles Carolines, îles Pelew et Mindanao, Célèbes, Moluques). En octobre 1839, l’expédition fait une longue escale en Tasmanie avant de toucher la Terre Adélie. Les navires parviennent à rentrer en Europe.
Le Prince Napoléon prépare un voyage vers l’Islande et le Groenland en 1856, et fait appel à Jean Benjamin Stahl, futur chef de l’atelier de moulage au Muséum d’histoire naturelle de Paris, pour rejoindre la commission scientifique de l’expédition. Il réalise des empreintes de pièces de musées en Écosse et Norvège, des moulages d’animaux et une collection de moulages de têtes, mains, torses et jambes des différentes populations rencontrées.
Jérôme Cartellier, Jules Dumont d’Urville, 1846, Château de Versailles
Lorsqu’il conçoit son expédition en 1836, Jules Dumont d’Urville est déjà connu comme savant intéressé par l’étude comparative de l’anthropologie, l’ethnographie et la philologie des peuples d’Océanie, qu’il a rencontrés lors de ses deux premières expéditions en 1822-1825, et surtout en 1826-1829.
L’objectif principal de l’expédition est alors d’explorer le détroit de Torrès, mais aussi de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud.
Les deux corvettes, L’Astrolabe et La Zélée, comportant chacune un effectif de 70 à 80 hommes, quittent la France le 7 septembre 1837, explorent le détroit de Magellan en décembre et font escale à Valparaiso en mai 1838. Un an plus tard, l’expédition débarque à Tahiti. S’en suit une longue traversée de l’Océanie. La dysenterie décime l’équipage en octobre 1839, l’expédition effectue alors une longue escale en Tasmanie, avant de toucher la Terre Adélie, le 21 janvier 1839. L’Astrolabe fait un échouage dans le détroit de Torrès, le 1er juin, et les deux navires rentrent en Europe avec de lourdes pertes humaines. Le bilan s’élève ainsi à 25 morts, 13 déserteurs, 14 débarquements.
Dumoutier est officiellement engagé lors de cette expédition comme « préparateur d’anatomie » et médecin, et termine le voyage en tant que chirurgien, du fait des nombreuses pertes au sein de l’équipage. À la lecture de son journal de bord et de son rapport manuscrit, qu’il ne publia pas, on découvre que c’est véritablement en tant que phrénologiste et ethnographe qu’il effectue le voyage.
Lorsqu’il conçoit son expédition en 1836, Jules Dumont d’Urville est déjà connu comme savant intéressé par l’étude comparative de l’anthropologie, l’ethnographie et la philologie des peuples d’Océanie, qu’il a rencontrés lors de ses deux premières expéditions en 1822-1825, et surtout en 1826-1829.
L’objectif principal de l’expédition est alors d’explorer le détroit de Torrès, mais aussi de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud.
Les deux corvettes, L’Astrolabe et La Zélée, comportant chacune un effectif de 70 à 80 hommes, quittent la France le 7 septembre 1837, explorent le détroit de Magellan en décembre et font escale à Valparaiso en mai 1838. Un an plus tard, l’expédition débarque à Tahiti. S’en suit une longue traversée de l’Océanie. La dysenterie décime l’équipage en octobre 1839, l’expédition effectue alors une longue escale en Tasmanie, avant de toucher la Terre Adélie, le 21 janvier 1839. L’Astrolabe fait un échouage dans le détroit de Torrès, le 1er juin, et les deux navires rentrent en Europe avec de lourdes pertes humaines. Le bilan s’élève ainsi à 25 morts, 13 déserteurs, 14 débarquements.
Dumoutier est officiellement engagé lors de cette expédition comme « préparateur d’anatomie » et médecin, et termine le voyage en tant que chirurgien, du fait des nombreuses pertes au sein de l’équipage. À la lecture de son journal de bord et de son rapport manuscrit, qu’il ne publia pas, on découvre que c’est véritablement en tant que phrénologiste et ethnographe qu’il effectue le voyage.
© Camille Fiore
Né à Paris en 1797, Pierre-Marie-Alexandre Dumoutier étudia la médecine, et exerça quelques temps en tant qu’aide d’anatomie, à la Faculté de Médecine, avant de devenir professeur libre d’anatomie. Vers 1820, il s’intéresse à la phrénologie, grâce aux cours donnés par Spurzheim, à Paris.
Quelques années plus tard, en 1831, il participe à la création de la Société phrénologique de Paris, dont il devient le préparateur attitré. Il transforme son logement en centre d’enseignement de la phrénologie et y accueille le siège social de la Société. En 1836, il y ouvre le Musée de la Société phrénologique de Paris, pour en exposer les collections, soit quelques 400 bustes moulés sur nature, et plusieurs centaines de crânes et moulage de cerveaux. Une année plus tard, la collection est déjà portée à 600 bustes.
Sa rencontre avec le navigateur Jules Dumont d’Urville orienta sa carrière. L’amiral et savant est passionné par l’étude de l’homme, depuis son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829. Il se convertit rapidement aux thèses de Gall. Dumoutier propose sa participation à l’expédition vers l’Océanie et le pôle Sud, puis est engagé par l’amiral comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie ».
A son retour, Dumont d’Urville lui fit obtenir une décoration en 1841. Dumoutier n’écrit, suite au voyage, qu’un seul conventionnel et très court article sur la phrénologie et l’ethnologie des Marquisiens. A la fermeture de son musée, la collection fut entreposée pendant plusieurs années, en caisses, dans le grenier du musée Dupuytren, puis rachetée en 1873, par le Muséum d’Histoire naturelle de Paris, et conservée actuellement au Musée de l’Homme.
Ses moulages d’individus, par leur réalisme, leur rareté et leur « exotisme », furent finalement aussi précieux à la raciologie et à l’anthropologie physique qui devait naître quelques années plus tard, qu’à la phrénologie classique.
© Camille Fiore
En 1889, l’attraction principale offerte aux 28 millions de visiteurs de l’Exposition universelle est le « village nègre » et ses 400 Africains, exhibés sur l’esplanade des Invalides, au milieu des pavillons coloniaux. Mais ces exhibitions n’apparaissent pas brutalement à la fin du XIXe siècle, elles arrivent à la suite d’une longue tradition et ont touché des millions de spectateurs, de Paris à Hambourg, de Londres à New York, de Moscou à Porto.
La tristement célèbre « Vénus Hottentote », une femme originaire du sud de l’Afrique, exposée comme un phénomène de foire en Angleterre, puis en France, dans les années 1810, meurt le 29 décembre 1815. Pour leur grande majorité, les personnes exhibées sont des figurants payés et qui ont des contrats. En cette époque de transition, ces mises en scène sont vendues comme les vestiges d’un monde qu’on ne reverra plus jamais.
C’est aussi l’époque où se construisent, en Europe, les identités nationales, jusque-là assez floues, et ce sur le mythe de la modernité. Toutes les différences doivent être gommées au profit de la citoyenneté. Dans les expositions françaises, il y aura aussi des villages bretons et savoyards, régions que l’on juge urgent de moderniser, tout comme l’Afrique ou n’importe quelle colonie de l’époque. Ces exhibitions servent à convaincre que la colonisation, qui connaît son apogée dans les années 1860-1880, est légitime.
Quant au rôle de la science, il se complexifie d’autant plus. Au début du phénomène, les anthropologues accourent dans les expositions, notamment au Jardin d’acclimatation, dans le but d’effectuer des mesures. Se pose aussi la question de l’influence de ces zoos humains sur la fabrique du racisme populaire, et de ses préjugés. Les spectacles anthropozoologiques sont le vecteur essentiel du passage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé.
© Camille Fiore
Technique d’artisans et d’artistes modeleurs et sculpteurs, le moulage est rapidement récupéré par les savants en quête de répliques objectives des spécimens qu’ils étudient. En s’intégrant dans un mouvement à la fois médical et naturaliste qui accorde une valeur absolue au crâne comme critère d’évaluation de l’homme, l’anthropologie physique émergente postule un possible classement des différents représentants de l’humanité fondé sur des mesures de proportions et des cubages. C’est dans cette étude de la variabilité des caractères que l’anthropologie physique a recours au moulage pour illustrer sa classification.
Le moulage est une retranscription absolue de la réalité, avec une certaine volonté de retrouver le naturel, au détriment de l’aspect vivant ; par exemple des paupières sont closes, les globes des yeux légèrement affaissés et l’expression figée, ce qui ne permet que difficilement au spectateur de déterminer des traits de caractère du sujet. Pour faire un moulage, il faut enduire un visage et la prise se faisait en quelques minutes. À partir du négatif ainsi obtenu, on crée le buste par contre-moulage.
Au moment où ils sont exploités par les anthropologues, les moulages ont une fonction similaire à la photographie, mais en trois dimensions : dans ce contexte, ils n’ont pas, a priori, de vocation esthétique, mais uniquement « documentaire ». Le but assumé est alors d’effacer la subjectivité de l’artiste au profit de la « réalité ». L’intérêt dit « scientifique » des moulages est sans doute lié à la vogue de la physiognomonie, à la phrénologie de Gall, à l’anatomie comparée, à la théorie de l’évolution de Darwin, et, par la suite, à l’anthropologie criminelle.
À l’origine, les techniques utilisées par les scientifiques sont les mêmes que celles auxquelles ont recours les artistes-mouleurs. Mais la technique et les usages des plâtres anthropologiques sont bientôt normalisés, notamment par Broca. Le mouleur doit prendre garde que le modèle reste complètement immobile, qu’il ne soit pas effrayé par l’augmentation de chaleur produite par le plâtre et qu’il conserve bien sa bouche et ses yeux fermés. Le mouleur commence par graisser la naissance des cheveux, les sourcils, avec de la pommade ou du beurre frais. On peut aussi réunir les poils, avec de la pommade de façon à former une masse compacte. Si le modèle est un homme, il doit être parfaitement et fraîchement rasé. Quand tout est prêt, avec un pinceau fin, on applique le plâtre en commençant par le front, par les joues, et l’on termine par la bouche et le nez. Cela pour le moulage d’un masque.
Le moulage de la tête entière semble alors bien plus complexe, au point qu’il est jugé dangereux à l’époque et réservé à des professionnels. La technique est décrite comme suit : on s’occupe de la pose des fils. L’un prend au milieu de la tête, monte en ligne directe sur son sommet, descend par avant en partageant le front, le nez, la bouche et le menton en deux parties égales ; le second croise ce premier en séparant la tête en deux portions égales, un devant, l’autre derrière. La tête est ensuite recouverte de plâtre en une seule fois.
Sur un individu mort, le moulage est évidemment plus aisé, la docilité certaine du cadavre permet d’inclure la tête entière dans une chape de plâtre, sans que les orifices ne soient bouchés. Les bustes réalisés post-mortem sont d’ailleurs parfois aisés à reconnaître : yeux entre-ouverts, bouche ouverte et tombante, faciès légèrement affaissé, épaules hautes dues à la position couchée du mort lors du moulage.
Un vrai souci de finition est attaché à la couleur de la peau comme critère de classification des types humains. La coloration est perçue comme une épreuve très complexe. En guise de méthode, Broca insiste dans ses instructions sur le rôle de la table chromatique qu’il a mise en place pour déterminer les différentes teintes (peau, muqueuses, cheveux…) afin que les moulages puissent être coloriés de retour des expéditions.
© Camille Fiore
Le terme « anthropologie » vient de deux mots grecs, l’un, « anthrôpos », signifie l’homme, et l’autre, « logos », signifie la parole, le discours. Au sein de chaque culture se trouve une conception de l’être humain, une anthropologie commune ; celle-ci est centrale, car fondatrice de l’identité collective. Il existe aussi une anthropologie savante qui prend deux formes : philosophique et scientifique. Si le XIXe siècle est longtemps dominé par l’anthropologie physique, autrement dit par l’étude des caractères morphologiques des individus, l’anthropologie scientifique s’oriente ensuite résolument vers l’étude des organisations socioculturelles. Aujourd’hui, l’anthropologie philosophique cherche à donner une vision synthétique de l’homme et de sa place dans le monde.
Dans son acception la plus large, le mot « anthropologie » combine l’ensemble des sciences qui étudient l’homme dans ses différentes dimensions. L’Union Internationale des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques reconnaît d’ailleurs quatre principales disciplines : l’anthropologie sociale et culturelle, l’archéologie et la paléoanthropologie, l’anthropologie biologique et la linguistique.
Une discipline des sciences humaines et sociales s’intéresse à l’homme en société, il s’agit de l’anthropologie sociale, encore appelée ethnographie. En d’autres termes, elle étudie les rapports sociaux propres à chaque groupe humain ou à chaque situation, s’intéressant dans le même mouvement à la grande variabilité des formes de vie sociale. Il existe au sein de l’anthropologie sociale des courants de pensée très différents, souvent concurrents entre eux.
Une anthropologie philosophique voit aussi le jour en Allemagne dans les années 1920 et 1930 dont la démarche est de mettre à profit les enseignements des sciences de la nature et des sciences de l’homme, pour tenter de cerner les caractéristiques de l’espèce humaine et sa position spécifique dans le monde.
Ce film a été réalisé avec l’aimable autorisation du Muséum national d’histoire naturelle / Musée de l’Homme.
Nous tenons à remercier Aurélia Fleury, Médiatrice, pôle grand public, Chargée d’accessibilité, pour son accueil et sa disponibilité.