Peut-on définir ce qui caractérise un homme par la mesure de son anatomie ?
Peut-on déterminer des « races » à partir de la mesure des différentes formes de crâne que l’on observe chez les humains ? Peut-on dire d’une personne qu’elle est fourbe car son crâne est bombé et que la couleur de sa peau est différente ?
Au XIXe siècle, les scientifiques et les naturalistes se posent sans cesse ces questions pour parvenir à définir ce qu’est un Homme. Alors que la génétique n’a pas encore été inventée, la science tente de donner une explication de la variation humaine par la phrénologie : l’étude anatomique d’un crâne associée à la psychologie.
À cette approche vient se combiner le début de la pensée anthropologique.
Pierre-Marie-Alexandre Dumoutier, phrénologue, moule le buste d’indigènes dans les îles du Pacifique essayant de « cataloguer » les différents types humains.
Le Musée de l’Homme, nous donne à voir une vaste collection de bustes et de crânes moulés qui résulte de ces études.
C’est cette histoire que je vous propose de découvrir dans ce film : « Mesurer l’humanité ». Une histoire qui fait écho à des théories qui ont nourri les plus terribles drames du XXe siècle et qui ont encore cours parfois.
© Muséum national d’histoire naturelle / Musée de l’Homme
© Camille Fiore
Bien que les premiers moulages anthropologiques soient réalisés dès 1833, il faut attendre le retour de la circumnavigation de Dumont d’Urville en 1840 pour que soit reconnue la légitimité de ce procédé pour la science de l’homme. Démarre alors la frénésie des voyages d’expéditions anthropologiques ; les scientifiques désirent partir à la rencontre des peuplades exotiques méconnues.
Les expéditions doivent souvent suivre des recommandations officielles faites par l’Académie des sciences : on y insiste sur la nécessité de « s’occuper de tout ce qui peut servir au perfectionnement de l’histoire naturelle de l’homme » (Blainville, 1837). Cette seule phrase concernant l’étude de l’homme vise de manière très large la description de « races » rencontrées, mais aucune demande de mesures chiffrées, ni de collecte de crânes ou de moulages n’est explicitement formulée.
Des instructions plus complètes, mais cette fois officieuses sont fournies par la Société phrénologique de Paris à Dumont d’Urville et Dumoutier : il y est recommandé d’observer des mœurs indigènes et de pratiquer la collecte de crânes et de moulages des têtes débarrassées de leur chevelure, cela afin de constituer, selon les propos de Dumoutier, « une phrénologie appliquée à l’étude des diverses races ».
De nombreuses missions scientifiques sont recensées au long du XIXe siècle, dont une mission Cap Horn en 1882-1883, le voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie de Dumont d’Urville en 1837-1840, le voyage dans les mers du Nord du Prince Napoléon en 1856. Froberville explore l’Afrique de l’est de Froberville en 1846, Louis Catat se rend en mission à Madagascar, le Docteur Ponty effectue un voyage en Nouvelle-Calédonie et enfin Frederik Starr organise une expédition mexicaine.
Jules Dumont d’Urville est passionné par l’étude de l’homme depuis son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829. Dumoutier le rencontre à Paris et propose sa participation à l’expédition vers l’Océanie et le pôle Sud. Il est engagé par l’amiral comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie ». L’expédition de 1836 a pour but d’explorer le détroit de Torrès et de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud. En 1838, l’expédition débarque à Tahiti : s’en suit une longue traversée de l’Océanie (îles Marquises, Samoa, îles Fidji, Vanikoro, îles Salomon, îles Carolines, îles Pelew et Mindanao, Célèbes, Moluques). En octobre 1839, l’expédition fait une longue escale en Tasmanie avant de toucher la Terre Adélie. Les navires parviennent à rentrer en Europe.
Le Prince Napoléon prépare un voyage vers l’Islande et le Groenland en 1856, et fait appel à Jean Benjamin Stahl, futur chef de l’atelier de moulage au Muséum d’histoire naturelle de Paris, pour rejoindre la commission scientifique de l’expédition. Il réalise des empreintes de pièces de musées en Écosse et Norvège, des moulages d’animaux et une collection de moulages de têtes, mains, torses et jambes des différentes populations rencontrées.
© Manon Galvier
La phrénologie est née du théoricien et neurologue autrichien Franz Joseph Gall (1757-1828) et s’intéresse à la localisation différenciée des fonctions cérébrales dans le cerveau. Selon cette théorie, le développement du cerveau influerait sur la forme du crâne : à chaque capacité particulièrement développée (gaieté, causalité, bienveillance, etc.) correspondrait une zone d’activité du cortex qui, par une sorte de poussée intérieure, inscrirait sa trace sur la voûte crânienne sous forme de protubérance.
Gall s’attache à valider scientifiquement son hypothèse, en constituant notamment une collection de centaines de bustes en plâtre moulés directement sur des sujets particuliers : microcéphales, « idiots », etc. Avec ses élèves, il propose des séries statistiques pour corréler les traits de caractère à la forme de la voûte crânienne, fondant une discipline baptisée « crânioscopie ».
Élève de Gall, le phrénologue mouleur Pierre-Marie Alexandre Dumoutier, conçoit en 1836 le musée de la Société phrénologique de Paris, dont la collection de moulages est ensuite intégrée dans le Muséum National d’Histoire Naturelle. Paul Broca (1824-1880) reprend à son compte la théorie des localisations fonctionnelles, notamment en étudiant l’aphasie éponyme dans des contextes traumatiques.
Les théories de Gall sont rapidement abandonnées, mais les techniques de mesure du corps humain, l’anthropométrie, pratiquée de longue date par les artistes à la recherche des belles proportions, se développent dans un but d’identification, notamment dans le cadre carcéral et judiciaire. Les recherches phrénologiques de Gall ouvrent malgré tout la voie aux travaux portant sur les liens entre les aires du cerveau et les facultés mentales, en particulier à Paul Broca qui détermine la localisation cérébrale du langage articulé.
La phrénologie a eu de considérables répercussions sur l’art et la littérature du XIXe siècle, que l’on pense au sculpteur David d’Angers, au caricaturiste Honoré Daumier ou aux descriptions de certains personnages de Balzac chez lesquels l’on retrouve des traits de caractère associés à leurs traits phrénologiques.
© Camille Fiore
En 1889, l’attraction principale offerte aux 28 millions de visiteurs de l’Exposition universelle est le « village nègre » et ses 400 Africains, exhibés sur l’esplanade des Invalides, au milieu des pavillons coloniaux. Mais ces exhibitions n’apparaissent pas brutalement à la fin du XIXe siècle, elles arrivent à la suite d’une longue tradition et ont touché des millions de spectateurs, de Paris à Hambourg, de Londres à New York, de Moscou à Porto.
La tristement célèbre « Vénus Hottentote », une femme originaire du sud de l’Afrique, exposée comme un phénomène de foire en Angleterre, puis en France, dans les années 1810, meurt le 29 décembre 1815. Pour leur grande majorité, les personnes exhibées sont des figurants payés et qui ont des contrats. En cette époque de transition, ces mises en scène sont vendues comme les vestiges d’un monde qu’on ne reverra plus jamais.
C’est aussi l’époque où se construisent, en Europe, les identités nationales, jusque-là assez floues, et ce sur le mythe de la modernité. Toutes les différences doivent être gommées au profit de la citoyenneté. Dans les expositions françaises, il y aura aussi des villages bretons et savoyards, régions que l’on juge urgent de moderniser, tout comme l’Afrique ou n’importe quelle colonie de l’époque. Ces exhibitions servent à convaincre que la colonisation, qui connaît son apogée dans les années 1860-1880, est légitime.
Quant au rôle de la science, il se complexifie d’autant plus. Au début du phénomène, les anthropologues accourent dans les expositions, notamment au Jardin d’acclimatation, dans le but d’effectuer des mesures. Se pose aussi la question de l’influence de ces zoos humains sur la fabrique du racisme populaire, et de ses préjugés. Les spectacles anthropozoologiques sont le vecteur essentiel du passage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé.
© Camille Fiore
Le musée de l’Homme, dédié à l’histoire de l’espèce humaine depuis ses origines, occupe l’aile ouest du Palais de Chaillot, bâtiment Art déco construit pour l’Exposition universelle de 1937. Le musée insiste sur la diversité humaine. Divers objets, témoins de l’évolution des représentations physiques et mentales du corps humain, dans l’histoire européenne, ponctuent le parcours du visiteur.
Pièce maîtresse de la Galerie de l’Homme, une structure de 11 mètres de haut sur 19 m de long relie les deux niveaux. Ce grand portant, en aluminium et prenant la forme d’une portée de musique, présente 79 bustes en plâtre et 12 bustes en bronze placés sur des sellettes et reflétant la diversité du genre humain.
Ces bustes sont réalisés au XIXe siècle à partir de moulages pratiqués sur des individus représentatifs des populations autochtones d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie. Parmi eux, on compte ceux de Seïd Enkess, ancien esclave soudanais arrivé en France en 1838, et d’Eleonora Elizabetta Asenat, une Inuite alors âgée de 27 ans.
Technique familière aux orfèvres et aux bronziers, le moulage en plâtre ou en cire est une pratique connue dès l’Antiquité et qui est très tôt employée pour la confection de masques funéraires. Avec la naissance de l’anthropologie à la fin du XVIIIe siècle, les savants se sont approprié cette technique, car elle leur permet de fixer des reproductions de modèles naturels. Marquée par le modèle naturaliste et l’anatomie comparée, l’anthropologie physique a alors pour première visée de parvenir à classer les différents peuples de la Terre, à partir de données quantifiables et mesurables.
Les moulages sont des réalisations ponctuelles, dépendantes de certaines opportunités, souvent effectuées lors d’expéditions lointaines. Aussi n’est-il pas surprenant de constater une relative disproportion dans leur répartition géographique, avec un vif intérêt pour les populations que l’on estimait les plus éloignées du type européen : les peuples d’Océanie, d’Afrique noire, d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud.
© Camille Fiore
Le terme « anthropologie » vient de deux mots grecs, l’un, « anthrôpos », signifie l’homme, et l’autre, « logos », signifie la parole, le discours. Au sein de chaque culture se trouve une conception de l’être humain, une anthropologie commune ; celle-ci est centrale, car fondatrice de l’identité collective. Il existe aussi une anthropologie savante qui prend deux formes : philosophique et scientifique. Si le XIXe siècle est longtemps dominé par l’anthropologie physique, autrement dit par l’étude des caractères morphologiques des individus, l’anthropologie scientifique s’oriente ensuite résolument vers l’étude des organisations socioculturelles. Aujourd’hui, l’anthropologie philosophique cherche à donner une vision synthétique de l’homme et de sa place dans le monde.
Dans son acception la plus large, le mot « anthropologie » combine l’ensemble des sciences qui étudient l’homme dans ses différentes dimensions. L’Union Internationale des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques reconnaît d’ailleurs quatre principales disciplines : l’anthropologie sociale et culturelle, l’archéologie et la paléoanthropologie, l’anthropologie biologique et la linguistique.
Une discipline des sciences humaines et sociales s’intéresse à l’homme en société, il s’agit de l’anthropologie sociale, encore appelée ethnographie. En d’autres termes, elle étudie les rapports sociaux propres à chaque groupe humain ou à chaque situation, s’intéressant dans le même mouvement à la grande variabilité des formes de vie sociale. Il existe au sein de l’anthropologie sociale des courants de pensée très différents, souvent concurrents entre eux.
Une anthropologie philosophique voit aussi le jour en Allemagne dans les années 1920 et 1930 dont la démarche est de mettre à profit les enseignements des sciences de la nature et des sciences de l’homme, pour tenter de cerner les caractéristiques de l’espèce humaine et sa position spécifique dans le monde.
À cette approche vient se combiner le début de la pensée anthropologique.
Pierre-Marie-Alexandre Dumoutier, phrénologue, moule le buste d’indigènes dans les îles du Pacifique essayant de « cataloguer » les différents types humains.
Le Musée de l’Homme, nous donne à voir une vaste collection de bustes et de crânes moulés qui résulte de ces études.
C’est cette histoire que je vous propose de découvrir dans ce film : « Mesurer l’humanité ». Une histoire qui fait écho à des théories qui ont nourri les plus terribles drames du XXe siècle et qui ont encore cours parfois.
© Camille Fiore
Bien que les premiers moulages anthropologiques soient réalisés dès 1833, il faut attendre le retour de la circumnavigation de Dumont d’Urville en 1840 pour que soit reconnue la légitimité de ce procédé pour la science de l’homme. Démarre alors la frénésie des voyages d’expéditions anthropologiques ; les scientifiques désirent partir à la rencontre des peuplades exotiques méconnues.
Les expéditions doivent souvent suivre des recommandations officielles faites par l’Académie des sciences : on y insiste sur la nécessité de « s’occuper de tout ce qui peut servir au perfectionnement de l’histoire naturelle de l’homme » (Blainville, 1837). Cette seule phrase concernant l’étude de l’homme vise de manière très large la description de « races » rencontrées, mais aucune demande de mesures chiffrées, ni de collecte de crânes ou de moulages n’est explicitement formulée.
Des instructions plus complètes, mais cette fois officieuses sont fournies par la Société phrénologique de Paris à Dumont d’Urville et Dumoutier : il y est recommandé d’observer des mœurs indigènes et de pratiquer la collecte de crânes et de moulages des têtes débarrassées de leur chevelure, cela afin de constituer, selon les propos de Dumoutier, « une phrénologie appliquée à l’étude des diverses races ».
De nombreuses missions scientifiques sont recensées au long du XIXe siècle, dont une mission Cap Horn en 1882-1883, le voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie de Dumont d’Urville en 1837-1840, le voyage dans les mers du Nord du Prince Napoléon en 1856. Froberville explore l’Afrique de l’est de Froberville en 1846, Louis Catat se rend en mission à Madagascar, le Docteur Ponty effectue un voyage en Nouvelle-Calédonie et enfin Frederik Starr organise une expédition mexicaine.
Jules Dumont d’Urville est passionné par l’étude de l’homme depuis son premier voyage à travers le Pacifique en 1826-1829. Dumoutier le rencontre à Paris et propose sa participation à l’expédition vers l’Océanie et le pôle Sud. Il est engagé par l’amiral comme « préparateur d’anatomie et de phrénologie ». L’expédition de 1836 a pour but d’explorer le détroit de Torrès et de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud. En 1838, l’expédition débarque à Tahiti : s’en suit une longue traversée de l’Océanie (îles Marquises, Samoa, îles Fidji, Vanikoro, îles Salomon, îles Carolines, îles Pelew et Mindanao, Célèbes, Moluques). En octobre 1839, l’expédition fait une longue escale en Tasmanie avant de toucher la Terre Adélie. Les navires parviennent à rentrer en Europe.
Le Prince Napoléon prépare un voyage vers l’Islande et le Groenland en 1856, et fait appel à Jean Benjamin Stahl, futur chef de l’atelier de moulage au Muséum d’histoire naturelle de Paris, pour rejoindre la commission scientifique de l’expédition. Il réalise des empreintes de pièces de musées en Écosse et Norvège, des moulages d’animaux et une collection de moulages de têtes, mains, torses et jambes des différentes populations rencontrées.
Jérôme Cartellier, Jules Dumont d’Urville, 1846, Château de Versailles
Lorsqu’il conçoit son expédition en 1836, Jules Dumont d’Urville est déjà connu comme savant intéressé par l’étude comparative de l’anthropologie, l’ethnographie et la philologie des peuples d’Océanie, qu’il a rencontrés lors de ses deux premières expéditions en 1822-1825, et surtout en 1826-1829.
L’objectif principal de l’expédition est alors d’explorer le détroit de Torrès, mais aussi de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud.
Les deux corvettes, L’Astrolabe et La Zélée, comportant chacune un effectif de 70 à 80 hommes, quittent la France le 7 septembre 1837, explorent le détroit de Magellan en décembre et font escale à Valparaiso en mai 1838. Un an plus tard, l’expédition débarque à Tahiti. S’en suit une longue traversée de l’Océanie. La dysenterie décime l’équipage en octobre 1839, l’expédition effectue alors une longue escale en Tasmanie, avant de toucher la Terre Adélie, le 21 janvier 1839. L’Astrolabe fait un échouage dans le détroit de Torrès, le 1er juin, et les deux navires rentrent en Europe avec de lourdes pertes humaines. Le bilan s’élève ainsi à 25 morts, 13 déserteurs, 14 débarquements.
Dumoutier est officiellement engagé lors de cette expédition comme « préparateur d’anatomie » et médecin, et termine le voyage en tant que chirurgien, du fait des nombreuses pertes au sein de l’équipage. À la lecture de son journal de bord et de son rapport manuscrit, qu’il ne publia pas, on découvre que c’est véritablement en tant que phrénologiste et ethnographe qu’il effectue le voyage.
Lorsqu’il conçoit son expédition en 1836, Jules Dumont d’Urville est déjà connu comme savant intéressé par l’étude comparative de l’anthropologie, l’ethnographie et la philologie des peuples d’Océanie, qu’il a rencontrés lors de ses deux premières expéditions en 1822-1825, et surtout en 1826-1829.
L’objectif principal de l’expédition est alors d’explorer le détroit de Torrès, mais aussi de recenser précisément les archipels d’Océanie et les îles Salomon. Louis-Philippe y ajoute la nécessité d’approcher au plus près du Pôle Sud.
Les deux corvettes, L’Astrolabe et La Zélée, comportant chacune un effectif de 70 à 80 hommes, quittent la France le 7 septembre 1837, explorent le détroit de Magellan en décembre et font escale à Valparaiso en mai 1838. Un an plus tard, l’expédition débarque à Tahiti. S’en suit une longue traversée de l’Océanie. La dysenterie décime l’équipage en octobre 1839, l’expédition effectue alors une longue escale en Tasmanie, avant de toucher la Terre Adélie, le 21 janvier 1839. L’Astrolabe fait un échouage dans le détroit de Torrès, le 1er juin, et les deux navires rentrent en Europe avec de lourdes pertes humaines. Le bilan s’élève ainsi à 25 morts, 13 déserteurs, 14 débarquements.
Dumoutier est officiellement engagé lors de cette expédition comme « préparateur d’anatomie » et médecin, et termine le voyage en tant que chirurgien, du fait des nombreuses pertes au sein de l’équipage. À la lecture de son journal de bord et de son rapport manuscrit, qu’il ne publia pas, on découvre que c’est véritablement en tant que phrénologiste et ethnographe qu’il effectue le voyage.
© Manon Galvier
La phrénologie est née du théoricien et neurologue autrichien Franz Joseph Gall (1757-1828) et s’intéresse à la localisation différenciée des fonctions cérébrales dans le cerveau. Selon cette théorie, le développement du cerveau influerait sur la forme du crâne : à chaque capacité particulièrement développée (gaieté, causalité, bienveillance, etc.) correspondrait une zone d’activité du cortex qui, par une sorte de poussée intérieure, inscrirait sa trace sur la voûte crânienne sous forme de protubérance.
Gall s’attache à valider scientifiquement son hypothèse, en constituant notamment une collection de centaines de bustes en plâtre moulés directement sur des sujets particuliers : microcéphales, « idiots », etc. Avec ses élèves, il propose des séries statistiques pour corréler les traits de caractère à la forme de la voûte crânienne, fondant une discipline baptisée « crânioscopie ».
Élève de Gall, le phrénologue mouleur Pierre-Marie Alexandre Dumoutier, conçoit en 1836 le musée de la Société phrénologique de Paris, dont la collection de moulages est ensuite intégrée dans le Muséum National d’Histoire Naturelle. Paul Broca (1824-1880) reprend à son compte la théorie des localisations fonctionnelles, notamment en étudiant l’aphasie éponyme dans des contextes traumatiques.
Les théories de Gall sont rapidement abandonnées, mais les techniques de mesure du corps humain, l’anthropométrie, pratiquée de longue date par les artistes à la recherche des belles proportions, se développent dans un but d’identification, notamment dans le cadre carcéral et judiciaire. Les recherches phrénologiques de Gall ouvrent malgré tout la voie aux travaux portant sur les liens entre les aires du cerveau et les facultés mentales, en particulier à Paul Broca qui détermine la localisation cérébrale du langage articulé.
La phrénologie a eu de considérables répercussions sur l’art et la littérature du XIXe siècle, que l’on pense au sculpteur David d’Angers, au caricaturiste Honoré Daumier ou aux descriptions de certains personnages de Balzac chez lesquels l’on retrouve des traits de caractère associés à leurs traits phrénologiques.
© Camille Fiore
En 1889, l’attraction principale offerte aux 28 millions de visiteurs de l’Exposition universelle est le « village nègre » et ses 400 Africains, exhibés sur l’esplanade des Invalides, au milieu des pavillons coloniaux. Mais ces exhibitions n’apparaissent pas brutalement à la fin du XIXe siècle, elles arrivent à la suite d’une longue tradition et ont touché des millions de spectateurs, de Paris à Hambourg, de Londres à New York, de Moscou à Porto.
La tristement célèbre « Vénus Hottentote », une femme originaire du sud de l’Afrique, exposée comme un phénomène de foire en Angleterre, puis en France, dans les années 1810, meurt le 29 décembre 1815. Pour leur grande majorité, les personnes exhibées sont des figurants payés et qui ont des contrats. En cette époque de transition, ces mises en scène sont vendues comme les vestiges d’un monde qu’on ne reverra plus jamais.
C’est aussi l’époque où se construisent, en Europe, les identités nationales, jusque-là assez floues, et ce sur le mythe de la modernité. Toutes les différences doivent être gommées au profit de la citoyenneté. Dans les expositions françaises, il y aura aussi des villages bretons et savoyards, régions que l’on juge urgent de moderniser, tout comme l’Afrique ou n’importe quelle colonie de l’époque. Ces exhibitions servent à convaincre que la colonisation, qui connaît son apogée dans les années 1860-1880, est légitime.
Quant au rôle de la science, il se complexifie d’autant plus. Au début du phénomène, les anthropologues accourent dans les expositions, notamment au Jardin d’acclimatation, dans le but d’effectuer des mesures. Se pose aussi la question de l’influence de ces zoos humains sur la fabrique du racisme populaire, et de ses préjugés. Les spectacles anthropozoologiques sont le vecteur essentiel du passage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé.
© Camille Fiore
Le musée de l’Homme, dédié à l’histoire de l’espèce humaine depuis ses origines, occupe l’aile ouest du Palais de Chaillot, bâtiment Art déco construit pour l’Exposition universelle de 1937. Le musée insiste sur la diversité humaine. Divers objets, témoins de l’évolution des représentations physiques et mentales du corps humain, dans l’histoire européenne, ponctuent le parcours du visiteur.
Pièce maîtresse de la Galerie de l’Homme, une structure de 11 mètres de haut sur 19 m de long relie les deux niveaux. Ce grand portant, en aluminium et prenant la forme d’une portée de musique, présente 79 bustes en plâtre et 12 bustes en bronze placés sur des sellettes et reflétant la diversité du genre humain.
Ces bustes sont réalisés au XIXe siècle à partir de moulages pratiqués sur des individus représentatifs des populations autochtones d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie. Parmi eux, on compte ceux de Seïd Enkess, ancien esclave soudanais arrivé en France en 1838, et d’Eleonora Elizabetta Asenat, une Inuite alors âgée de 27 ans.
Technique familière aux orfèvres et aux bronziers, le moulage en plâtre ou en cire est une pratique connue dès l’Antiquité et qui est très tôt employée pour la confection de masques funéraires. Avec la naissance de l’anthropologie à la fin du XVIIIe siècle, les savants se sont approprié cette technique, car elle leur permet de fixer des reproductions de modèles naturels. Marquée par le modèle naturaliste et l’anatomie comparée, l’anthropologie physique a alors pour première visée de parvenir à classer les différents peuples de la Terre, à partir de données quantifiables et mesurables.
Les moulages sont des réalisations ponctuelles, dépendantes de certaines opportunités, souvent effectuées lors d’expéditions lointaines. Aussi n’est-il pas surprenant de constater une relative disproportion dans leur répartition géographique, avec un vif intérêt pour les populations que l’on estimait les plus éloignées du type européen : les peuples d’Océanie, d’Afrique noire, d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud.
© Camille Fiore
Le terme « anthropologie » vient de deux mots grecs, l’un, « anthrôpos », signifie l’homme, et l’autre, « logos », signifie la parole, le discours. Au sein de chaque culture se trouve une conception de l’être humain, une anthropologie commune ; celle-ci est centrale, car fondatrice de l’identité collective. Il existe aussi une anthropologie savante qui prend deux formes : philosophique et scientifique. Si le XIXe siècle est longtemps dominé par l’anthropologie physique, autrement dit par l’étude des caractères morphologiques des individus, l’anthropologie scientifique s’oriente ensuite résolument vers l’étude des organisations socioculturelles. Aujourd’hui, l’anthropologie philosophique cherche à donner une vision synthétique de l’homme et de sa place dans le monde.
Dans son acception la plus large, le mot « anthropologie » combine l’ensemble des sciences qui étudient l’homme dans ses différentes dimensions. L’Union Internationale des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques reconnaît d’ailleurs quatre principales disciplines : l’anthropologie sociale et culturelle, l’archéologie et la paléoanthropologie, l’anthropologie biologique et la linguistique.
Une discipline des sciences humaines et sociales s’intéresse à l’homme en société, il s’agit de l’anthropologie sociale, encore appelée ethnographie. En d’autres termes, elle étudie les rapports sociaux propres à chaque groupe humain ou à chaque situation, s’intéressant dans le même mouvement à la grande variabilité des formes de vie sociale. Il existe au sein de l’anthropologie sociale des courants de pensée très différents, souvent concurrents entre eux.
Une anthropologie philosophique voit aussi le jour en Allemagne dans les années 1920 et 1930 dont la démarche est de mettre à profit les enseignements des sciences de la nature et des sciences de l’homme, pour tenter de cerner les caractéristiques de l’espèce humaine et sa position spécifique dans le monde.
Ce film a été réalisé avec l’aimable autorisation du Muséum national d’histoire naturelle / Musée de l’Homme.
Nous tenons à remercier Aurélia Fleury, Médiatrice, pôle grand public, Chargée d’accessibilité, pour son accueil et sa disponibilité.